Mardi cinéma "Cinéma et peinture"


Le 10 novembre a eu lieu le premier « Mardi cinéma » à la Médiathèque qui avait pour thème « Cinéma et peinture ». Durant cette conférence les liens unissant les deux arts et leur dialogue ont été illustrés par des projections de tableaux et d’extraits de films. Petite séance de rattrapage...

Le 19e siècle, qui se clôt par la naissance du cinéma, correspond à une période artistique de crise et d’innovation. En effet, l’invention de la photographie a bouleversé le domaine de la représentation jusqu’ici réservé presque unanimement à la peinture. L’art pictural se retrouve concurrencé : la photographie, puis le cinéma, propose aux artistes une nouvelle façon d’appréhender le réel via une machine (appareil photographique, caméra). Mais ce passage d’un art manuel à un art mécanique s’accompagne de la transmission d’une culture visuelle et d’une tradition iconographique, comme nous allons le voir !

  • Le cinéma s’inscrit dans la continuité d’une tradition picturale


A ses débuts le cinéma, art forain à l’origine, a cherché à gagner ses lettres de noblesse en puisant ses sources et ses inspirations dans la peinture. Ainsi le réalisateur, et directeur artistique de la Gaumont, Louis Feuillade a réalisé des films reproduisant des peintures d’histoire ou religieuses (genres picturaux les plus nobles selon le classement de l’Académie) pour asseoir la reconnaissance du cinématographe. Dans son film La nativité (1910) il s’inspire d’un tableau de Luc Olivier Merson (Le repos pendant la fuite en Égypte, 1880) au point d’être accusé de plagiat !

La nativité (1910)
Le repos pendant la fuite en Égypte (1880)

Cinéaste et peintre ont parfois choisi de traiter d’un même sujet. C’est le cas de Louis Lumière dans L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1897) et de Claude Monet dans Train dans la neige, la locomotive (1875). Le choix de la représentation d’un train pour le premier film de l’histoire et chez l'impressionniste n’est pas anodin : ces deux artistes donnent à voir la modernité. Le chemin de fer a réduit considérablement les temps de trajet et cette révolution technologique a permis aux peintres impressionnistes de s’évader de leur atelier pour aller peindre (avec leurs tubes de peinture) « sur le motif » les paysages des campagnes. Ils y saisirent la lumière naturelle et les instants fugitifs qui les fascinaient. La locomotive permet aussi aux artistes de représenter la vitesse ; pour le cinéma l’impression a été si saisissante que des spectateurs sortirent en courant de la salle de projection de peur de se faire écraser. Chez Monet la suggestion de la vitesse passe par l’absence de lignes précises auxquelles se substituent les touches noires qui favorisent la captation d’un instant fugace, impression renforcée par le traitement de la fumée. Cette capacité à saisir les sujets « immatériels » (comme l’eau, la neige…) explique que Monet soit souvent qualifié de « peintre de l’ineffable ».

Train dans la neige, la locomotive (1875)


Autre époque, autre ambiance avec Alfred Hitchcock dont l’univers s’apparente souvent à celui du peintre norvégien Edvard Munch dont les toiles expressionnistes aux lignes déformées, malades, distillent un sentiment de malaise chez le spectateur. Ainsi la figure tragique et hurlante du Cri (1893) se retrouve de façon récurrente chez Hitchcock, qui d’une certaine façon dans la scène de la douche de Psychose (1960) rend audible le cri de terreur que le spectateur entend en lui-même face à la toile muette de Munch.

Le cri (1893)

Toujours dans Psychose Hitchcock reproduit presque à l’identique pour la maison des Bates La maison près de la voie ferrée (1925) du peintre américain Edward Hopper. Cela n’est pas particulièrement étonnant puisque le cadrage et l’utilisation de la lumière dans ses tableaux sont souvent qualifiés de cinématographiques. Cinéphile, Hopper a en effet exercé son œil dans les cinémas qu’il fréquentait assidument.

Cet amour réciproque entre Hopper et le cinéma prend toute sa dimension dans le film Shirley, un voyage dans la peinture d’Edward Hopper (2013). Son réalisateur, Gustav Deutsch, s’approprie totalement treize tableaux (qu'il reconstitue à la perfection) dans lesquels figure Josephine la femme du peintre. Dans Shirley celle-ci devient un pur personnage de fiction dont on suit les pensées (car chez Hopper les êtres mêmes proches ne communiquent pas entre eux). Peintre de l’intimité, Hopper place le spectateur comme devant « un décor de maison de poupée » (Erwin Panofsky) dont les personnages s’animent ici physiquement et intellectuellement devant nous grâce à Deutsch.

Room in New-York (1932)

Cette influence réciproque entre le cinéma et la peinture, avec des réalisateurs s’inscrivant dans une continuité picturale en réinvestissant (consciemment ou non) des tableaux ou des univers de peintre, ne doit cependant pas faire oublier que les cinéastes ont également cherché à créer un langage propre à leur art. Ainsi des œuvres expérimentales comme L’homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov vont multiplier les expérimentations visuelles pour « créer un langage cinématographique absolu réellement international […]» prenant ses distances avec toutes les traditions théâtrales et picturales.



  • La peinture convoquée dans le cinéma


Le cinéma a donc su construire une esthétique autonome; il poursuit cependant son dialogue avec la peinture notamment en convoquant dans des films des tableaux qui vont y jouer un rôle. L’objectif de cette intégration peut être de susciter l’étonnement du spectateur comme dans The Private Affairs of Bel Ami (1947) d’Albert Levin. Cette adaptation du roman de Maupassant nous plonge dans une reconstitution en noir et blanc du Paris du 19e siècle dans lequel surgit soudainement le tableau La tentation de Saint-Antoine de Max Ernst. Cette œuvre surréaliste dérangeante, morbide et anachronique dénote dans le milieu bourgeois. La représentation en couleur du tableau dans le film reprend le souci d’épate de l’éclairage électrique décrit dans le roman ; elle restitue aussi la beauté du tableau pour lequel le réalisateur avait organisé un concours (auquel participa aussi Dali).

La tentation de Saint-Antoine (1945)

L’intégration d’un tableau au processus d’écriture d’un film peut aller encore plus loin. C’est notamment le cas dans Les larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder (1972) qui va véritablement citer une peinture de Nicolas Poussin : Midas et Bacchus (vers 1624). Fassbinder rend omniprésente la toile de Poussin qui est reproduite sur la totalité du mur dans la chambre de Petra. En mettant au centre de la scène Bacchus nu, le réalisateur cherche notamment à souligner que même si les acteurs masculins sont absents du film les rapports de domination sont présents dans la relation amoureuse entre les deux femmes; le comportement de Petra vis-à-vis de Karin se révèle en effet très patriarcal.


Au-delà des biopics permettant à un large public de découvrir des peintres presque inconnus (comme dans Séraphine de Martin Provost) ou de donner à voir les conditions de création d’un maître au destin tragique pour mieux appréhender son œuvre (dans La vie passionnée de Vincent Van Gogh de Vincente Minnelli en1956 ou Van Gogh de Maurice Pialat en 1991), des films font de l’artiste un véritable acteur.

C’est notamment le cas dans Le mystère Picasso d’Henri Georges Clouzot. Ainsi en 1956 le réalisateur a collaboré avec l’artiste phare et multi-facette du 20e siècle qu’il va filmer en train de dessiner et de peindre. Clouzot livre alors un témoignage unique, un expérience singulière au cœur du processus créatif de Picasso. Il offre en effet au spectateur une possibilité (presque inédite) de voir comment l’artiste réalise une œuvre. Dans ce film le peintre démontre sa maîtrise totale du dessin à travers les gestes que nous suivons (sa composition ses reprises, ses recouvrements…). Et si le « mystère » n'est pas complément percé, cette œuvre constitue un témoignage précieux sur la création picturale mais également sur le procédé filmique que Clouzot met en scène.


Enfin des cinéastes ont utilisé la peinture pour nourrir leur discours partisan. Dans Passion (1982) Jean-Luc Godard reprend notamment quatre tableaux de Francisco de Goya pour questionner l’acte créatif (le travail de la lumière, la réalisation d’une série de tableaux vivants…) et nourrir une réflexion politique. Ainsi les tableaux reproduits (parmi lesquels figure Le 3mai 1808 à Madrid : les exécutions sur la colline Principe Pio daté de 1814) sont une métaphore de la révolte et de la lutte d’une syndicaliste dans le film. Alain Resnais quant à lui dans Guernica réalise un montage à partir de prélèvements du célèbre tableau éponyme et d’autres œuvres de Picasso. Si Resnais convoque en 1950 l’œuvre créée par le peintre espagnol pour exprimer sa révolte après le bombardement de la ville de Guernica par l’aviation nazie (alliée de Franco), c'est pour lui donner un nouvel écho alors que le franquisme connaît un tournant. Avec ces deux films le cinéma s’inscrit  dans une filiation des plus étroites avec la peinture qui amplifie la portée politique du message.

Le 3 mai 1808 à Madrid : les exécutions sur la colline Principe Pio (1814)


Le prochain Mardi cinéma, en lien avec la manifestation “La science se livre” aura lieu le 16 février et mettra à l’honneur l’océan. Nous espérons vous y retrouver nombreux !

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