La rentrée littéraire bat son plein
Depuis quelques semaines, 589 romans débarquent dans les librairies. Septembre sonne le retour de la rentrée littéraire, un concept typiquement français. Comme vous avez dû le remarquer, pendant un peu plus de deux mois, les livres occupent la scène médiatique culturelle, ils sortent largement des rubriques et des magazines spécialisés, de nombreux écrivains participent à des rencontres avec leurs lecteurs... Les bibliothécaires ne peuvent que s’en réjouir !
Mais la rentrée littéraire obéit à plusieurs contraintes, en particulier la perspective des prix de l'automne, qui influence les maisons d'édition dans leurs choix. Les prix sont en effet des multiplicateurs de vente : 400 000 exemplaires en moyenne pour le Goncourt, 200 000 pour le Renaudot, 150 000 à 200 000 pour le Femina… Si les meilleurs romans (ou les plus médiatiques) vont donc connaître le succès ces prochaines semaines, d’autres vont souffrir de cette avalanche de sorties… Sur le plan commercial, sortir autant de livres en même temps semble être une aberration. Ils ne seront pas plus de 20% à bénéficier d’une visibilité médiatique et d’une mise en valeur dans les librairies, même si internet et les réseaux sociaux augmentent les possibilités de toucher les lecteurs. C’est bien l’espoir d’un prix qui fait prendre ce risque, mais aussi l’envie de participer à la fête.
Cette année, on note que ce sont des femmes qui se partagent les plus gros tirages et qui occupent l’espace médiatique, courant de talk-show en émission radio : Amélie Nothomb avec Le crime du comte Neville, Delphine de Vigan avec D’après une histoire vraie, Caroline Martinez avec La terre qui penche ou encore Christine Angot avec Un Amour impossible.
Côté littérature étrangère, plusieurs poids lourds américains se font remarquer : Toni Morrison, Martin Amis, David Foster Wallace, Richard Ford ou encore Jim Harrison. Et parmi les romans policiers, cela ne fait pas de doute, le plus attendu est Millénium tome 4, la suite de la saga de feu Stieg Larsson, écrite par David Lagercrantz.
Depuis l’année dernière, la tendance est aux biographies romancées. Avec plus ou moins de liberté, les écrivains racontent la vie de personnages réels, célèbres ou méconnus : Bernard Chambaz s’intéresse ainsi à Vladimir Poutine, Yasmina Khadra à Kadhafi, Romain Puertolas à Napoléon ; Laurent Binet évoque la mort de Roland Barthes, Judith Perrignon celle de Victor Hugo ; Simon Liberati parcourt l’enfance manipulée de son épouse Eva, fille de la photographe controversée Irina Ionesco ; Philippe Jaenada revisite l'histoire de Pauline Dubuisson, connue pour avoir assassiné son amant dans les années 50…
A la Médiathèque, nous sélectionnons un panel de romans aussi large que possible (impossible de tout acheter !) et nous recevons les livres au fur et à mesure de leurs parutions. Pensez à utiliser le système de réservation quand le roman que vous voulez lire est déjà emprunté. Et n’hésitez pas à demander conseil aux bibliothécaires !
Voici leurs premières impressions :
Amélie a lu le roman de Delphine de Vigan, très médiatisé, mais il l’a laissée sans avis tranché :
« Motivée à l’idée de rencontrer cette auteure encensée, j’ai rapidement déchanté. J’ai eu le sentiment d’être confrontée à une écriture sans saveur, avec des digressions dont je ne comprenais pas l’intérêt. L’intrigue est apparue bien tard, même si par moment la tension était palpable et laissait penser que quelque chose allait se passer. C’est finalement à la fin du roman que tout s’est éclairé. Sans aucun doute un exercice de style, mais bien éprouvant pour le lecteur. »
Loïc a apprécié le dernier roman de Yasmina Khadra :
« Dans ce récit à la première personne, l’auteur nous plonge dans les souvenirs de Kadhafi pour nous faire comprendre le dictateur qu’il est devenu. On voit à travers la plume de Khadra à quel point Khadafi avait un amour infini pour le peuple libyen, et pourtant aucun remord pour les atrocités commises pendant ses 30 ans de dictature. C’est pourquoi Kadhafi ne comprend pas la trahison du peuple libyen, qui cherche à tout prix à le tuer. Khadra nous raconte sa mise à mort par des rebelles, une fin pitoyable, il n’y a pas d’autre mot. Il décrit les dernières heures de sa vie, obligé de se cacher dans une école avec ses derniers fidèles, et où il est finalement retrouvé par les rebelles et lynché. C’est un roman audacieux, éclairant, que je recommande. »
Fabienne a été intriguée par Les gens dans l’enveloppe, d’Isabelle Monnin, certainement le roman qui se démarque le plus par sa singularité :
« En 2012, Isabelle Monnin achète pour quelques euro sur internet un lot de 250 photos d’une famille qu’elle ne connaît pas. Les photos sont banales et pas forcément réussies mais émouvantes car parlant de l’intimité d’un foyer sur 40 années, pouvant résonner en chacun d’entre nous et donc touchant à l’universel. En analysant ces images, l’écrivain décide de broder une histoire et un vécu à cette tribu, inventant prénoms et personnalités, lui redonnant ainsi une deuxième vie. Une fois sa fiction terminée, elle décide d’enquêter sur le parcours réel de ces gens et arrive à les rencontrer. Se confiant à son ami Alex Beaupain sur ce projet littéraire un peu fou, celui-ci imagine alors un univers sonore autour de ce cercle familial et créé des chansons dont certains morceaux sont même interprétés par la fille et la mère. Alors laissez-vous bercer par ces mélodies tout en feuilletant les pages de cet ouvrage insolite à la fois roman, enquête et album photos. Qui est aussi une réflexion sur le pouvoir évocateur des images. Et une démarche poétique qui s’apparente à une performance artistique. »
Aline a voulu tester le roman de Christine Angot, à propos duquel on lit des choses très contradictoires dans la presse :
« C’est le premier roman de cet auteur que je lis. On entend souvent dire qu’elle écrit un peu la même histoire à chaque fois. Pour moi, c’était nouveau, et je n’ai pas trouvé cela dénué d’intérêt. Cet amour passionnel de la mère pour un homme aussi méprisant m’a même parfois touché. Cependant, je n’ai pas apprécié l’écriture, que j’ai trouvée plate et médiocre au point qu’elle dessert le récit. Ce n’est donc pas le livre que je recommanderais. En revanche, je viens de commencer un roman totalement différent, celui d’Alain Mabanckou, et je pense qu’il fera partie des belles découvertes. De l’humour, du rythme, de la sensibilité, une langue inventive : c’est tout ce qu’il faut, selon moi, pour faire un bon roman ! »
Nadia a lu avec plaisir La Zone d’intérêt, de Martin Amis :
« Il existe des livres qui arrivent précédés d’une polémique. Le roman de Martin Amis, grand auteur anglais, est de ceux-là. Est-ce le sujet, un camp d’extermination en Pologne, ou bien le ton choisi par l’auteur qui a poussé son éditeur français Gallimard à refuser son manuscrit ? Peu importe, Calmann-Lévy le publie et nous pouvons le lire.
Martin Amis avait déjà raconté la vie d’un nazi dans son roman La flèche du temps. Cette fois-ci l’étude de caractère passe par trois personnages. Un commandant de camp, un officier SS qui tente de séduire l’épouse du premier et un déporté juif qui officie dans une unité de Sonderkommandos. Ils se partagent le récit et chacun nous raconte son quotidien dans cette zone d’intérêt (nom employé par les Nazis pour désigner la région d’Auschwitz).
On est parfois plus proche du vaudeville que du récit historique autour de la Solution Finale. Mais Martin Amis arrive, avec ce ton grinçant qui lui est propre, à nous rendre, si c’était possible, encore plus insupportable ce que l’on sait déjà des camps d’extermination. Tout y est, le grotesque, la vulgarité, l’horreur, et parfois même le rire. La sophistication de l’écriture de l’écrivain permet tout cela. Et comme Primo Levi, que Martin Amis évoque dans sa postface, on peut dire que ce qui s’est passé ne peut être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre c’est presque justifier.
Un livre à découvrir pour cette rentrée littéraire qui donnera envie de lire ou relire Le Nazi et le barbier d’Edgar Hilsenrath. »
Si vous voulez davantage de conseils, vous en trouverez en quantité sur Internet. Le site du magazine Marianne fait par exemple la liste des romans décevants de cette rentrée, tandis que Les Echos mettent l’accent sur des titres peu médiatisés qui méritent d’être découverts. L’émission de LCI « Les coups de cœur des libraires » remet elle aussi en question certains livres très médiatisés.
Vous pouvez également visionner de nombreuses vidéos de « booktubeurs » telles que celles-ci :
Et en bonus, nous vous conseillons ce feuilleton inédit de France Culture dont l’intrigue et le suspense tiennent en une question : Qui aura le Goncourt 2015 ? … !
Bonnes lectures à tous !
Mais la rentrée littéraire obéit à plusieurs contraintes, en particulier la perspective des prix de l'automne, qui influence les maisons d'édition dans leurs choix. Les prix sont en effet des multiplicateurs de vente : 400 000 exemplaires en moyenne pour le Goncourt, 200 000 pour le Renaudot, 150 000 à 200 000 pour le Femina… Si les meilleurs romans (ou les plus médiatiques) vont donc connaître le succès ces prochaines semaines, d’autres vont souffrir de cette avalanche de sorties… Sur le plan commercial, sortir autant de livres en même temps semble être une aberration. Ils ne seront pas plus de 20% à bénéficier d’une visibilité médiatique et d’une mise en valeur dans les librairies, même si internet et les réseaux sociaux augmentent les possibilités de toucher les lecteurs. C’est bien l’espoir d’un prix qui fait prendre ce risque, mais aussi l’envie de participer à la fête.
Cette année, on note que ce sont des femmes qui se partagent les plus gros tirages et qui occupent l’espace médiatique, courant de talk-show en émission radio : Amélie Nothomb avec Le crime du comte Neville, Delphine de Vigan avec D’après une histoire vraie, Caroline Martinez avec La terre qui penche ou encore Christine Angot avec Un Amour impossible.
Côté littérature étrangère, plusieurs poids lourds américains se font remarquer : Toni Morrison, Martin Amis, David Foster Wallace, Richard Ford ou encore Jim Harrison. Et parmi les romans policiers, cela ne fait pas de doute, le plus attendu est Millénium tome 4, la suite de la saga de feu Stieg Larsson, écrite par David Lagercrantz.
Depuis l’année dernière, la tendance est aux biographies romancées. Avec plus ou moins de liberté, les écrivains racontent la vie de personnages réels, célèbres ou méconnus : Bernard Chambaz s’intéresse ainsi à Vladimir Poutine, Yasmina Khadra à Kadhafi, Romain Puertolas à Napoléon ; Laurent Binet évoque la mort de Roland Barthes, Judith Perrignon celle de Victor Hugo ; Simon Liberati parcourt l’enfance manipulée de son épouse Eva, fille de la photographe controversée Irina Ionesco ; Philippe Jaenada revisite l'histoire de Pauline Dubuisson, connue pour avoir assassiné son amant dans les années 50…
A la Médiathèque, nous sélectionnons un panel de romans aussi large que possible (impossible de tout acheter !) et nous recevons les livres au fur et à mesure de leurs parutions. Pensez à utiliser le système de réservation quand le roman que vous voulez lire est déjà emprunté. Et n’hésitez pas à demander conseil aux bibliothécaires !
Voici leurs premières impressions :
Amélie a lu le roman de Delphine de Vigan, très médiatisé, mais il l’a laissée sans avis tranché :
« Motivée à l’idée de rencontrer cette auteure encensée, j’ai rapidement déchanté. J’ai eu le sentiment d’être confrontée à une écriture sans saveur, avec des digressions dont je ne comprenais pas l’intérêt. L’intrigue est apparue bien tard, même si par moment la tension était palpable et laissait penser que quelque chose allait se passer. C’est finalement à la fin du roman que tout s’est éclairé. Sans aucun doute un exercice de style, mais bien éprouvant pour le lecteur. »
Loïc a apprécié le dernier roman de Yasmina Khadra :
« Dans ce récit à la première personne, l’auteur nous plonge dans les souvenirs de Kadhafi pour nous faire comprendre le dictateur qu’il est devenu. On voit à travers la plume de Khadra à quel point Khadafi avait un amour infini pour le peuple libyen, et pourtant aucun remord pour les atrocités commises pendant ses 30 ans de dictature. C’est pourquoi Kadhafi ne comprend pas la trahison du peuple libyen, qui cherche à tout prix à le tuer. Khadra nous raconte sa mise à mort par des rebelles, une fin pitoyable, il n’y a pas d’autre mot. Il décrit les dernières heures de sa vie, obligé de se cacher dans une école avec ses derniers fidèles, et où il est finalement retrouvé par les rebelles et lynché. C’est un roman audacieux, éclairant, que je recommande. »
Fabienne a été intriguée par Les gens dans l’enveloppe, d’Isabelle Monnin, certainement le roman qui se démarque le plus par sa singularité :
« En 2012, Isabelle Monnin achète pour quelques euro sur internet un lot de 250 photos d’une famille qu’elle ne connaît pas. Les photos sont banales et pas forcément réussies mais émouvantes car parlant de l’intimité d’un foyer sur 40 années, pouvant résonner en chacun d’entre nous et donc touchant à l’universel. En analysant ces images, l’écrivain décide de broder une histoire et un vécu à cette tribu, inventant prénoms et personnalités, lui redonnant ainsi une deuxième vie. Une fois sa fiction terminée, elle décide d’enquêter sur le parcours réel de ces gens et arrive à les rencontrer. Se confiant à son ami Alex Beaupain sur ce projet littéraire un peu fou, celui-ci imagine alors un univers sonore autour de ce cercle familial et créé des chansons dont certains morceaux sont même interprétés par la fille et la mère. Alors laissez-vous bercer par ces mélodies tout en feuilletant les pages de cet ouvrage insolite à la fois roman, enquête et album photos. Qui est aussi une réflexion sur le pouvoir évocateur des images. Et une démarche poétique qui s’apparente à une performance artistique. »
Aline a voulu tester le roman de Christine Angot, à propos duquel on lit des choses très contradictoires dans la presse :
« C’est le premier roman de cet auteur que je lis. On entend souvent dire qu’elle écrit un peu la même histoire à chaque fois. Pour moi, c’était nouveau, et je n’ai pas trouvé cela dénué d’intérêt. Cet amour passionnel de la mère pour un homme aussi méprisant m’a même parfois touché. Cependant, je n’ai pas apprécié l’écriture, que j’ai trouvée plate et médiocre au point qu’elle dessert le récit. Ce n’est donc pas le livre que je recommanderais. En revanche, je viens de commencer un roman totalement différent, celui d’Alain Mabanckou, et je pense qu’il fera partie des belles découvertes. De l’humour, du rythme, de la sensibilité, une langue inventive : c’est tout ce qu’il faut, selon moi, pour faire un bon roman ! »
Nadia a lu avec plaisir La Zone d’intérêt, de Martin Amis :
« Il existe des livres qui arrivent précédés d’une polémique. Le roman de Martin Amis, grand auteur anglais, est de ceux-là. Est-ce le sujet, un camp d’extermination en Pologne, ou bien le ton choisi par l’auteur qui a poussé son éditeur français Gallimard à refuser son manuscrit ? Peu importe, Calmann-Lévy le publie et nous pouvons le lire.
Martin Amis avait déjà raconté la vie d’un nazi dans son roman La flèche du temps. Cette fois-ci l’étude de caractère passe par trois personnages. Un commandant de camp, un officier SS qui tente de séduire l’épouse du premier et un déporté juif qui officie dans une unité de Sonderkommandos. Ils se partagent le récit et chacun nous raconte son quotidien dans cette zone d’intérêt (nom employé par les Nazis pour désigner la région d’Auschwitz).
On est parfois plus proche du vaudeville que du récit historique autour de la Solution Finale. Mais Martin Amis arrive, avec ce ton grinçant qui lui est propre, à nous rendre, si c’était possible, encore plus insupportable ce que l’on sait déjà des camps d’extermination. Tout y est, le grotesque, la vulgarité, l’horreur, et parfois même le rire. La sophistication de l’écriture de l’écrivain permet tout cela. Et comme Primo Levi, que Martin Amis évoque dans sa postface, on peut dire que ce qui s’est passé ne peut être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre c’est presque justifier.
Un livre à découvrir pour cette rentrée littéraire qui donnera envie de lire ou relire Le Nazi et le barbier d’Edgar Hilsenrath. »
Si vous voulez davantage de conseils, vous en trouverez en quantité sur Internet. Le site du magazine Marianne fait par exemple la liste des romans décevants de cette rentrée, tandis que Les Echos mettent l’accent sur des titres peu médiatisés qui méritent d’être découverts. L’émission de LCI « Les coups de cœur des libraires » remet elle aussi en question certains livres très médiatisés.
Vous pouvez également visionner de nombreuses vidéos de « booktubeurs » telles que celles-ci :
Et en bonus, nous vous conseillons ce feuilleton inédit de France Culture dont l’intrigue et le suspense tiennent en une question : Qui aura le Goncourt 2015 ? … !
Bonnes lectures à tous !
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